Dans le monde romain, le travail désignait un instrument destiné à immobiliser les chevaux pour permettre de les ferrer ; appliqués aux êtres humains et non plus aux équidés au Moyen Âge, ces trois pieux (« tres palus ») se sont également révélés très adaptés à la torture. Étymologiquement, le travail est donc d’abord immobilisation et souffrance… et sans doute plus encore pour les femmes que pour les hommes.
Immobilisation et souffrance des femmes qui depuis toujours travaillent au sein de la cellule familiale (travail domestique ou agricole) : travail non reconnu et non rémunéré, travail caché par excellence, travail aliénant par essence. Au XIXe siècle, la femme sort de l’atelier à domicile pour entrer dans la fabrique, mais son travail est perçu comme une malédiction à laquelle le mariage ou l’enfantement mettent heureusement le plus souvent fin.
Ce n’est que sous la contrainte de la Grande Guerre que les femmes peuvent enfin prétendre à un travail plus diversifié et plus valorisant, mais leurs prétentions sont de courte durée : dès la paix signée, elles doivent reprendre leur « véritable » travail – celui de femme au foyer.
En France, ce n’est que dans les années 1950, pour répondre aux défis de la reconstruction dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de tertiarisation de l’économie, que les femmes viennent ou reviennent massivement au travail salarié. Le taux d’activité des femmes ne cessera plus alors d’augmenter (en 2010, deux tiers des femmes françaises âgées de 15 à 65 ans travaillent ou déclarent chercher un travail contre une sur deux en 1975) alors que, parallèlement, les femmes auront une activité de plus en plus continue au cours de leur existence.
Cette évolution s’est accompagnée d’une émancipation juridique progressive tout au long du xxe siècle : en 1907, la loi accorde aux femmes mariées le droit de percevoir librement leur salaire ; en 1920, les femmes peuvent se syndiquer sans la permission de leur mari ; mais ce n’est qu’en 1965 que la loi reconnaît à la femme la possibilité de travailler sans l’accord de son mari…
Le développement progressif du salariat féminin a modifié l’aliénation subie par les femmes au travail, sans pour autant l’abolir : le travail féminin demeure encore en partie caché et toujours moins bien reconnu que le travail masculin. La claustration au sein du foyer devient exceptionnelle mais l’enfermement dans l’activité salariée demeure bien réel : les femmes sont cantonnées dans certains secteurs (en 2010, les femmes occupaient 55% des emplois du secteur tertiaire contre 28% de ceux de l’industrie et de l’agriculture) et il semble exister des emplois « typiquement » féminins (les 10 métiers les plus féminisés représentent près de la moitié de l’emploi féminin : 98% des secrétaires sont des femmes…).
Les femmes occupent moins souvent des professions de cadres (13,8% des femmes sont cadres, ingénieurs, chefs d’une entreprise de plus de 10 salariés ou exercent une profession libérale, intellectuelle ou artistique contre 20,6% pour les hommes – en dépit de la surreprésentation féminine dans la profession d’enseignant).
Le travail féminin demeure sous contrainte : même si l’écart a diminué depuis le milieu des années 1970, le taux de chômage des femmes demeurait supérieur de 0,7 point à celui des hommes en 2010 ; 80% des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes en 2010 (proportion stable) ; 5% des femmes sont en « sous-emploi » (temps partiel subi, chômage technique ou partiel) contre 2,3% des hommes.
Enfin, toutes choses égales par ailleurs, elles sont moins bien rémunérées que leurs homologues masculins (pour les salariés travaillant à temps complet, l’écart de salaire entre hommes et femmes est de 15% – ce qui est stable depuis le début des années 1990). Le travail, toujours un instrument de souffrance et d’immobilisation ? Oui, et toujours davantage pour les femmes que pour les hommes.