On estime qu’il y a eu autour de 20% de femmes dans la Résistance. Mais on n’en compte que six qui ont été distinguées par des décorations officielles, à comparer à 1038 hommes (Étude Fournel, 2004). Les études montrent aujourd’hui que les femmes ont joué un rôle important dans la Résistance. Mais les figures connues qui sont arrivée jusqu’à nous sont celles de quelques héroïnes ou de martyres. D’où vient cet oubli des femmes résistantes dans notre mémoire ?
À cette époque les femmes ne votent pas et ne partagent pas l’autorité familiale. Ce rôle déjà marginal ne les a-t-elles pas marginalisées dans la Résistance ? Les tâches qui leur ont été confiées alors sont en effet leurs tâches « habituelles » dans la vie, peu valorisées comme l’hébergement, la nourriture ou le secrétariat. Dans les tâches assignées aux femmes, on a trouvé aussi celles d’agents de liaison, d’interprétariat pour les germanophones, des tâches « techniques » comme la fabrication de faux papiers, de cartes d’alimentation ou de tracts et, parfois, du transport d’armes. Certaines ont joué un rôle important dans le sauvetage d’enfants juifs, mais ce rôle est généralement occulté dans l’évaluation des faits de guerre selon le schéma militaire classique.
D’ailleurs peu d’entre elles sont aguerries physiquement, contrairement aux hommes qui le sont par la pratique de sports ou le « service militaire » et elles sont souvent jugées incapables de se servir d’armes de guerre. Dans ses mémoires, le résistant Arsène Tchakarian reconnaît que leur travail était souvent beaucoup plus dangereux que celui de leurs compagnons armés, « parce que si elles étaient prises, elles ne pouvaient pas se défendre ». Certaines femmes de la Résistance n’ont pas voulu témoigner : sur 72 témoignages de résistants collectés entre février 1946 et février 1958, 15 seulement viennent de femmes.
Les historiens ont-ils insuffisamment cherché ou les femmes se sont-elles effacées d’elles-mêmes ? Comme c’était l’usage, par modestie ? Ou pour se conformer à une injonction sociale ? Ou peut-être par culpabilité de ne s’être pas suffisamment dédiées au rôle de mère, présente ou en devenir ? Ce sont en effet souvent de jeunes femmes non mariées, souvent même des lycéennes de 16 à 18 ans, qui ont constitué le noyau de la Résistance féminine. On y trouve aussi une très forte proportion de femmes d’origine étrangère, en particulier des immigrées d’Europe de l’Est (réfugiées de la répression tsariste, bolchevique, stalinienne, puis hitlérienne) mais aussi des réfugiées de l’Italie fasciste et de l’Espagne franquiste, déjà préparées à affronter des situations difficiles et de dures conditions matérielles, très dures, davantage conscientes aussi des réalités politiques.
Lucie Aubrac disait, en avril 1944 au micro de la BBC, combien la guerre était aussi une affaire de femmes : « Maintenant que tout le pays est un grand champ de bataille, les femmes de France assurent la relève des héros de la Résistance. » Que ferions-nous aujourd’hui ? Pensons au rôle des femmes dans le printemps arabe, en Tunisie, en Égypte ou au Yémen, qui luttent contre le despotisme, la tyrannie et la corruption, alors que la tradition leur impose silence et soumission. Savons-nous mieux les reconnaître ?
« Être résistant, ce n’est pas du passé. C’est refuser encore et toujours l’inacceptable. Tout ce qui porte atteinte à la dignité humaine : le racisme, la violence, la misère, le mépris de l’autre, son humiliation. » Ce sont les mots d’une femme : la résistante Geneviève de Gaulle.
Source : Rita Thalmann, « L’oubli des femmes dans l’historiographie de la Résistance », revue Clio, n°1, 1995.
Illustration : U.S. National Archives and Records Administration – Domaine public