Moi, privilégiée ?

Moi, privilégiée ? Qui bénéficie de privilèges. Moi, femme dirigeante, mariée, divorcée, remariée, trois enfants, suis-je une privilégiée au regard de la condition féminine et cela me donne-t-il le droit d’en parler et de revendiquer encore ?  Est-ce que je jouis d’un privilège comme les gentilshommes d’autrefois ? Ai-je reçu de la nature quelque don particulier qui fasse de moi une créature privilégiée, avec quelque génie ? Me suis-je attribué ou m’a-t-on accordé certaines libertés, certaines richesses certaines prérogatives dans la société ?
Six mots synonymes comme des batailles gagnées :
– Avantagée ? Issue d’un milieu modeste, j’ai redoublé d’efforts à l’école et j’ai poursuivi mes études pour m’en sortir, malgré les difficultés financières et les injonctions sociales.
– Choisie ? Personne sur mon chemin pour me faciliter la vie, ni même me soutenir dans mes choix, même le prince charmant n’est pas venu sous mon balcon, je suis allée le chercher.
– Favorisée ? Il m’a toujours fallu démontrer plus dans mon travail que mes homologues masculins et, si on m’avait favorisée, je l’aurais sûrement vécu comme une insulte.
– Heureuse ? Le bonheur est un privilège rare et parfois je doute. Trop perfectionniste, en voulant tout réussir, les enfants, les amours, le travail, n’ai-je pas sacrifié une partie de moi-même, mes jardins secrets, mes passions d’enfance ?
– Huppée ? Est-ce que je me distingue par ma position brillante et ma fortune ? C’est plutôt la banalité et une forme de normalité par rapport aux cadres dirigeants hommes qui m’entourent. Et dans ma tête, j’ai toujours une dette inconsciente vis-à-vis de mon milieu d’origine.
– Nantie ? Oui, je suis à l’abri du besoin, mais c’est en ayant fait beaucoup de sacrifices pour moi-même. J’ai le sentiment d’avoir beaucoup donné autour de moi et peut-être trop à mes enfants pour apaiser ma culpabilité.
Je ne me plains pas car, par rapport à d’autres femmes dans le monde ou même autour de moi, je me sens aujourd’hui privilégiée, privilégiée d’avoir pu me battre et d’avoir planté quelques drapeaux au sommet de mon ambition et de mes rêves. Mais privilégiée surtout d’être consciente de ma condition, du chemin parcouru et des efforts qu’il reste à faire, en toute humilité.
J’ai la chance, comme Gustave Flaubert l’exprime si bien, d’avoir une petite lumière dans ma tête. « Ne nous plaignons pas. Nous sommes des privilégiés. Nous avons dans la cervelle des éclairages au gaz ! Et il y a tant de gens qui grelottent dans une mansarde sans chandelles. » Être privilégiée, c’est l’issue victorieuse de nos efforts, de notre engagement sans faille et de nos batailles. « Je suis pour les privilèges… Quand ils sont gagnés. » (Paul Léautaud).