Figure féminine inspiratrice des arts et par extension des artistes masculins. Enfermée dans son rôle d’inspiratrice, elle ne développe généralement pas de puissance créatrice propre. Il est intéressant de noter que « muse » n’a pas de masculin. Le masculin le plus proche qui surgit serait Pygmalion ?… qui n’a d’ailleurs pas de féminin. Les Muses ont une histoire, qui peut dessiner en creux et à grands traits l’histoire de la condition féminine.
Initialement, la Muse est une figure abstraite, invoquée en début d’œuvre par le poète : « Ô Muse, conte-moi l’aventure de l’Inventif : celui qui pilla Troie, qui pendant des années erra, voyant beaucoup de villes, découvrant beaucoup d’usages, souffrant beaucoup d’angoisses dans son âme sur la mer pour défendre sa vie et le retour de ses marins sans en pouvoir pourtant sauver un seul, quoiqu’il en eût (…). À nous aussi, fille de Zeus, conte un peu ces exploits ! » (Homère, Odyssée, I, 1-10).
Déesse, la Muse est alors toute-puissante : l’artiste n’est que son « porte-parole » enthousiaste (au sens étymologique, habité par la divinité) : il profère passivement ce que sa divine inspiratrice lui dicte. À une époque où la femme est cantonnée au gynécée (Sapho est une exception), la Muse est une allégorie qui ne possède finalement de la femme que les traits sous lesquels elle est représentée.
À la Renaissance, la Muse s’incarne : descendue de son piédestal, elle n’est plus Melpomène ou Terpsichore, mais Laure de Noves (Pétrarque) ou Cassandre Salviati (Ronsard). La femme qui inspire l’Amour inspire le poète :
« Amour me tint vingt-un ans brûlant,
Joyeusement dans le feu, et plein d’espérance dans la douleur.
Depuis que ma Dame, et mon cœur avec elle, sont montés au ciel,
Il m’a tenu dix autres années à pleurer. »
(Sonnets, Canzones, Ballades et Sextines, Pétrarque)
Auparavant déesse toute-puissante, la Muse n’est plus qu’une simple mortelle, dont la beauté inspire ses vers aux poètes ; d’actrice omnipotente, elle devient simple objet de désir et support de création. Mais progressivement, la figure de la Muse poursuit sa métamorphose et si quelques femmes sont, dès cette époque, à la fois muse et artiste (Louise Labbé, Marguerite de Navarre), c’est surtout à partir du xviiie siècle que s’affirme la figure de la muse artiste – comme un reflet de l’évolution de la place de la femme dans la société occidentale : aspirant à jouer un rôle plus actif dans le monde intellectuel, la femme est encore condamnée cependant à le faire par procuration.
En animant des Salons (Julie de Lespinasse, Juliette Récamier, Germaine de Staël…), en entretenant des relations étroites avec des écrivains et des artistes (Louise Colet, George Sand, Berthe Morisot, Camille Claudel…), la muse moderne redevient agissante
– même si son action s’exerce par l’intermédiaire des hommes – à la fois inspiratrice et créatrice. La muse n’emprunte plus seulement les traits de l’Amour, mais aussi ceux de l’artiste, de l’intellectuelle.
Et c’est sans doute cette figure de l’artiste qui a progressivement chassé la muse : même si certains disent encore, avec un brin de condescendance, la taquiner, la muse semble s’être retirée aujourd’hui sur ses sommets olympiens. Dans la société contemporaine, la domination masculine demeure, mais les femmes ont acquis droit de cité. Même si elles rencontrent encore davantage de difficultés que les hommes à s’affirmer comme artistes, elles peuvent néanmoins y prétendre de plein droit, sans plus avoir besoin de la médiation obligée d’un homme et de la figure imposée de la muse.
Illustration – Camille Claudel – Domaine public.