Instinct maternel

Combien de fois avons-nous entendu cette ineptie dans la bouche de nos proches et même de la nôtre avant de savoir ? Et même dans celle de ceux qui savent : les scientifiques, les intellectuels ! Car il faut le savoir. L’instinct maternel n’existe pas. Pas plus que l’instinct paternel d’ailleurs, mais la question se pose moins. Forcément.
Contre cette évidence de l’instinct maternel, Élisabeth Badinter avait écrit en 1980 un livre choc, L’Amour en plus (Flammarion). « Loin d’être une donnée naturelle, un instinct inscrit dans les gènes des femmes, l’amour maternel serait profondément modelé par le poids des cultures. » Reprenant les travaux sur l’histoire de l’enfance, l’auteure en concluait que l’idée d’un amour maternel était une idée relativement neuve en Occident, qu’elle datait précisément des environs de 1760.
Auparavant, du fait du nombre d’enfants qui mouraient en bas âge, des contraintes économiques qui pesaient sur les femmes et, surtout, du peu de considération que l’on portait aux enfants (qu’on jugeait comme une sorte d’ébauche grossière d’être humain), l’attention apportée aux petits n’était pas si forte. De fait, le nombre d’enfants abandonnés ou laissés en nourrice montrait que beaucoup de mères n’étaient pas attachées à eux. La littérature révèle aussi un nombre important de mères distantes et parfois brutales.
Pour E. Badinter, ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que le rôle de mère a été valorisé et que le regard sur l’enfance a changé. C’est alors que l’on a enfermé les femmes dans le rôle de mère nourricière exigeant un dévouement total à leur progéniture. Or Nikolaas Tinbergen (prix Nobel de médecine en 1973) nous rappelle que :
1. Les actes instinctifs constituent la majorité des comportements de la plupart des animaux.
2. Ils se raréfient chez les animaux supérieurs pour devenir pratiquement absents chez l’homme.
Alors oui, instinctivement on peut crier, se protéger ou se rattraper. Mais est-ce qu’instinctivement on est une mère, une femme, un homme, un père, une grand-mère ou un grand-père ? Non, définitivement non. On ne naît pas mère on le devient. On ne naît pas père, on le devient aussi. Ou pas.
Combien de femmes malheureuses enceintes ou de mères qui n’ont jamais compris pourquoi la maternité ne les comblait pas ? Combien de femmes honteuses de ne pas avoir désiré d’enfants ? Combien de femmes fatiguées d’expliquer leur choix depuis l’invention de la pilule au nom de ce sacro-saint instinct maternel qui se réveillera un jour mais trop tard… ? Faut-il éprouver de la colère, se moquer ? En tout cas, ne surtout pas se résigner.


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