La nuance moderne d’amant au sens de « qui a une liaison » date du XVIIe siècle, comme l’est le mot maîtresse au sens de « femme qui s’est donnée à un homme hors mariage ». « Les chaînes du mariage sont si lourdes qu’il faut être deux pour les porter. Quelquefois trois. », écrit Alexandre Dumas.
Il est vrai qu’autrefois, le mariage se constituait sur des bases économiques ou politiques, où l’amour était rarement au rendez-vous. Maris et femmes n’étaient pas tenus d’avoir du désir l’un pour l’autre ni de combler leurs besoins affectifs et sexuels. Pour un époux, avoir une maîtresse était alors comme un prolongement naturel du mariage et un exutoire de sexualité masculine parfaitement toléré. Mais pas de symétrie pour l’épouse qui était dénigrée et ostracisée, si elle prenait un amant.
« L’amour, dans le mariage, est une chimère » disait Honoré de Balzac dans Physiologie du mariage (1830). Dans ce manuel à l’usage du futur marié, véritable « bréviaire du machiavélisme marital », il propose une série de réformes en vue d’améliorer la condition conjugale de la femme et donc de l’empêcher de tromper son époux. Il indique les signes auxquels un mari doit reconnaître le moment où sa femme pense à l’adultère.
« Votre femme s’ennuie et le bonheur permis n’a plus d’attrait pour elle ; ses sens, son imagination, le caprice appellent un amant ; cependant, elle n’ose pas encore s’embarquer dans une intrigue dont les conséquences et les détails l’effrayent : vous êtes encore là pour quelque chose ; vous pesez dans la balance, mais bien peu. De son côté, l’amant se présente paré de toutes les grâces de la nouveauté, de tous les charmes du mystère ; un combat s’élève dans le cœur de votre femme. » Physiologie du mariage, 1826.
Qu’en est-il aujourd’hui où l’amour est désormais le seul critère valable pour passer sa vie avec quelqu’un ? Depuis Mai 68 et la libération sexuelle, on assume que le sexe ne rime pas forcément avec l’amour, mais également qu’il n’y a pas d’amour sans sexe réussi. L’exigence vis-à-vis de la relation amoureuse est donc très forte. Le compagnon, toujours rêvé comme « prince charmant », doit aussi « assurer » : être un bon compagnon, un bon père, un bon amant. Comment choisir entre amour, sexe et indépendance ? On veut tout !
Est-ce pourquoi les couples se brisent plus souvent qu’autrefois ? Le nombre de divorces prononcés dans les trois ans après une union a augmenté de 50% entre 1990 et 2003, sans compter les séparations hors mariage. On se fait aujourd’hui une très haute idée du couple et de l’amour, idéal devenu presque inaccessible.
Si depuis Balzac les femmes ont gagné leur indépendance dans le mariage, le défi de l’amour reste entier. C’est à se demander s’il ne faut pas redonner vie à l’adultère et au ménage à trois ? Il est d’ailleurs une tendance qui ne passe pas inaperçue : le développement des sites de rencontres. On en recense aujourd’hui plus de 2 000. L’un d’entre eux, Gleeden, se propose de faciliter les rencontres extra conjugales et revendique sur ses affiches qu’il est le « premier site de rencontres extra conjugales pensé par des femmes ». Il rassemble plus d’1,5 million de membres dans 150 pays dont 800 000 en France.
Alors que les couples peuvent aujourd’hui choisir librement leur conjoint, quel paradoxe que de faire la promotion de l’adultère ! Quand il était difficile une fois marié de se séparer de son conjoint, l’adultère était « rationnellement compréhensible ». Aujourd’hui, se séparer ne pose plus aucun problème moral, pas plus que de passer de partenaire à partenaire.
Signe qu’il est bien difficile de se repérer dans les valeurs morales que la société promeut et qui sont contradictoires les unes avec les autres : « liberté, individualisme, consommation » ou « devoir, fidélité, confiance » ? Pour les femmes, choisir de prendre un amant illustre une quête de liberté individuelle et de satisfaction de leurs désirs propres. Au détriment d’autres valeurs, sans aucun doute. Mais satisfaire ses désirs est-il vraiment plus facile que d’y renoncer ?
Illustration : Wikipedia – Physiologie du mariage – Oreste Cortazzo (domaine public).