« À l’origine de toute connaissance, nous rencontrons la curiosité ! Elle est une condition essentielle du progrès. » C’est peu dire qu’Alexandra, de son nom complet Louise, Eugénie, Alexandrine, Marie David, est éprise de liberté dans ce XIXe siècle où la place de la femme est à la maison, bonne épouse et bonne mère.
Née d’un père anarchiste et d’une mère belge, fervente catholique qui n’a jamais montré de signes de tendresse pour sa fille, Alexandra ne perd jamais de vue sa principale raison d’être : explorer le monde, voyager. La jeune Alexandra multiplie les fugues au grand désespoir de sa mère, la première fugue à deux ans et la suivante à cinq ans. Passionnée par le mystère des choses et des êtres, elle explore les philosophies orientales, fréquente les sociétés secrètes, dont la franc-maçonnerie, mais n’y trouve pas sa propre vérité.
Anarchiste dans l’âme, elle est également une farouche militante de la cause féminine et publie dès sa majorité des textes qui dénoncent la condition féminine, les abus de l’État, de l’Église ou des milieux de la finance. Elle est animée par la soif d’apprendre et c’est en auditrice libre qu’elle suit des cours à la Sorbonne et au Collège de France. Elle fréquente assidûment les musées et elle rapporte que c’est en visitant le musée Guimet que sa vocation d’orientaliste est née. Elle deviendra d’ailleurs l’une des premières femmes bouddhistes de France.
Pour faire face à ses besoins, elle entreprend une carrière artistique comme chanteuse lyrique dans laquelle elle connait un certain succès un peu partout en Europe et en Orient. Elle met fin à sa carrière en 1900 et rencontre Philippe Néel de Saint-Sauveur qui la persuade, à la grande surprise de son père, de l’épouser en 1904. Elle a 36 ans et sombre très rapidement dans la dépression. Son époux comprend très vite qu’elle n’est pas faite pour être une femme au foyer et que sa soif de voyage ne peut pas être étanchée par les quelques petits voyages qu’ils font en commun.
Il accepte qu’elle parte pour les Indes pour un voyage d’étude de 18 mois, elle y restera 14 ans ! Ce retour aux sources du bouddhisme est pour elle une renaissance, elle parcourt les Indes, le Népal, le Sikkim. Elle y rencontre un jeune moine de 14 ans, Aphur Yongden, qui deviendra son fils adoptif. Alexandra ne voulait pas d’un enfant imposé par la nature, elle a choisi le sien.
Elle n’hésite pas à partager la vie quotidienne des peuples qu’elle croise et à y recevoir les enseignements spirituels auxquels elle aspire. Considérée comme persona non grata au Tibet, elle poursuivra son périple à travers l’Asie, le Japon et la Chine. Elle entreprendra avec son fils adoptif la traversée d’est en ouest d’une Chine déchirée par les guerres civiles, traversera le Gobi, la Mongolie et ils rejoindront enfin le Tibet. Son but, Lhassa, berceau du bouddhisme, mais territoire interdit aux étrangers. C’est en mendiante qu’après des mois de pérégrinations dans la neige et le froid, elle arrive en février 24 à Lhassa, épuisée. Elle a 56 ans.
Son exploit fera la Une des journaux du monde entier, et cette gloire lui apportera de quoi acheter à Digne une modeste maison provençale qu’elle transformera progressivement en une forteresse de méditation où elle rédigera la plus grande partie de son œuvre. À 69 ans, elle repart en chine pour un voyage de quelques mois, elle y restera neuf ans, bloquée sur les marches tibétaines en raison de la guerre sino-japonaise. En 1941, elle apprend la mort, en France, de son mari et meilleur ami, Philippe Néel, avec qui elle n’a cessé de correspondre.
L’arrêt des hostilités en 1946 marque son retour en France et la fin des grands voyages. Elle partage sa vie entre recherches, écriture et conférences. Sa soif de voyage ne s’est jamais tarie, elle a demandé à 100 ans et demi le renouvellement de son passeport, elle avait le projet de faire le tour du monde en 4 CV avec sa secrétaire. Elle s’éteint paisiblement à 101 ans.
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