Qui a peur de Virginia Woolf ? Certes pas l’écrivain américain Michael Cunningham, à qui Virginia Woolf a inspiré à la fois sa vocation et son magnifique roman Les Heures, porté à l’écran en 2002 avec Nicole Kidman dans le rôle de Virginia, remettant l’Anglaise sur le devant de la scène.
Symptomatiquement pourtant, Virginia Woolf est plus connue comme romancière que comme essayiste féministe, terme qu’elle aurait probablement renié tant elle souhaitait sortir le féminin de l’ordre binaire de la société patriarcale. Pourtant, son apport à la pensée féministe, bien avant le Deuxième sexe est remarquable.
Dans Une chambre à soi (A Room of One’s Own, aussi traduit par Une pièce bien à soi), elle explique la faible proportion de femmes écrivains non par des inclinations naturelles, mais par le contexte socio-économique et idéologique qui a historiquement privé les femmes d’intimité et de moyens financiers propres. Que faut-il donc pour qu’une femme écrive ? De l’argent et une chambre à soi, au sens d’un espace ouvert sur le monde pour réfléchir et s’inventer. Un programme assez révolutionnaire en 1929.
Elle enjoint d’ailleurs les femmes à écrire sur leurs propres expériences, en particulier sur les moments de leur vie où les hommes ne sont pas présents, à ne pas laisser les hommes le faire à leur place. Elle montre l’exemple, avec le monologue intérieur de Clarissa dans son roman Mrs Dalloway, qui en dit long sur la place des femmes à l’époque (1925), « filles de » puis « femmes de », reléguées à une vie qu’on pourrait croire insignifiante si ce n’était pour elles précisément la seule grande aventure qu’il leur soit permis de vivre.
Le roman explore également le poids des conventions idéologiques et sociales dans la construction d’une identité toujours en mouvement. L’identité n’est pas figée, elle se forge et évolue au gré des interactions avec le monde et des expériences vécues. Dans le vibrant hommage que Virginia Woolf rend dans ses essais à Mary Wollstonecraft, pionnière du féminisme, auteure en 1792 de Défense des droits des femmes, elle loue tant ses idées novatrices sur l’égalité des sexes et des droits que certains traits biographiques : son courage, sa détermination et surtout sa capacité à « expérimenter » sa vie.
Pour Woolf, il n’y a pas d’essence ou de nature féminine, mais une idée de la féminité purement produite par la société présente, ancrée dans une histoire et un contexte précis. Dans Trois Guinées, paru en 1938, elle observe que les sommes consacrées à l’éducation des filles et des garçons n’ont rien à voir, et que c’est cette infériorité marchande qui produit à la fois une certaine idée de la féminité et l’inégalité entre les sexes.
Que préconise-t-elle donc ? Plus d’un siècle après Wollstonecraft, l’éducation des filles, seule capable de leur apporter liberté critique et indépendance financière. L’éducation pour permettre aux femmes de donner leur voix et trouver leur voie ? Diablement moderne !