Normal

Le mot ne l’est plus assurément. Incarné par un candidat heureux à la présidence de la République, acclamé à la Bastille, le mot est passé à la postérité. Aux valeurs républicaines de Liberté, Égalité, Fraternité… ajoutons désormais la Normalité ! Quel linguiste aurait pu imaginer un aussi fabuleux destin pour ce petit mot, si habituel, presque banal… Comment la normalité est-elle devenue le nouveau dessein d’une nation indépendante et arrogante ?
La normalité avait-t-elle été à ce point oubliée, bafouée, bâillonnée ? Suffisamment, semble-t-il, pour appeler solennellement la nation à exhumer sa part de normalité. Mais est-ce normal de vouloir se conformer à une moyenne érigée en norme, sans rien d’exceptionnel ? Comment se conformer au plus habituel qui ne surprend ni ne dérange ? Comment se conformer à ce que l’on pense juste, équitable… prévisible, logique, compréhensible… qui n’attire pas l’attention ni ne suscite la curiosité. Le normal n’est-il pas le commun, la pensée unique, les sentiments admis, le quotidien mis à l’équerre, la vulgarité d’une vie rendue à sa normalité ?
Surtout, pourra-t-on encore rêver, oser, agir, bâtir, grandir, embellir le monde ? Le mot a fait sa révolution en imposant sa normalité, comme un second souffle, à une société au bord de l’asphyxie. Une société en proie à ses désirs compulsifs, inassouvis et frustrations par milliers… Réjouissons-nous plutôt de ce sursaut militant, progressant à fronts renversés pour hisser les valeurs de normalité dans nos vies.
Redonnons du sens à la gratuité d’un geste simple et solidaire, au compagnonnage bienveillant, à la simplicité d’une relation, à la manière de faire les choses sans façon ni éclat, sans « star » système ou télé-réalité, sans autre « valeur » que la conscience intime d’agir vrai. Alors être normal ou ne pas être normal ? Ce n’est pas une hésitation mais un choix paradoxal pour une société en devenir. Osons donc la normalité, l’ordinaire et, pourquoi pas, le vulgaire.


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