Colette en 1907 dans Rêve d’Egypte.
L’homosexualité féminine a toujours menacé l’ordre patriarcal. Une femme qui n’a pas besoin d’homme pour jouir était forcément suspecte, voire dégénérée. Les clichés éculés, qui circulent encore du reste, lient les deux termes comme la poule et l’œuf : « féministes = mal baisées = lesbiennes », ou « toutes les lesbiennes sont (de sales) féministes ».
Colette n’a pas été de toute éternité le monument qu’elle est devenue, le récit de ses amours saphiques ayant fait d’elle un auteur sulfureux, longtemps tenu à l’écart des jeunes filles et des écoles. Le roman La Garçonne de Victor Margueritte fait scandale dans les années 20 parce qu’il met en scène une femme mariée qui s’accorde des aventures tant masculines que féminines. L’auteur se voit retirer sa Légion d’Honneur, fait rarissime.
En 1928, Le puits de solitude de Radclyffe Hall, souvent qualifié de premier grand roman lesbien, est censuré. Les « gender studies » mettent en lumière à partir des années 70 les dimensions de l’œuvre de Virginia Woolf qui avaient été commodément occultées : féminisme et lesbianisme. Le fait que Virginia Woolf ait, dans sa vie et dans ses romans, célébré à sa façon l’amour lesbien n’est sans doute pas étranger au manque de reconnaissance dont son œuvre a pu souffrir.
Le féminisme n’est pas homogène, il est multiple, c’est d’ailleurs la preuve qu’il est vivant. Or l’articulation entre féminisme et lesbianisme est intéressante précisément parce que tour à tour ils font corps, se séparent, se rejoignent. Jusque dans les années 70, l’homosexualité féminine reste cantonnée à la clandestinité, en dehors de certains milieux intellectuels fort étroits malgré leur rayonnement. De nombreuses lesbiennes militent alors ardemment dans les luttes féministes ; féminisme et lesbianisme semblent avancer de concert. C’est l’époque où l’expérience homosexuelle devient un passage quasi obligé pour beaucoup de féministes hétérosexuelles.
Certaines lesbiennes radicales ne tardent pas à fustiger ces dernières comme les « collabos » du pouvoir hétérosexuel, quand elles ne dénoncent pas leur homophobie. Elles créent alors leurs propres groupes au sein du MLF, notamment les Gouines rouges, pour faire entendre leurs revendications spécifiques. Les héritières de ce courant voient dans le mariage homosexuel non une avancée mais une aberration signant l’intégration au système patriarcal.
Le féminisme des années 70 a rendu visible l’homosexualité féminine, qui semble avoir été largement mise de côté depuis, bien qu’elle ait resurgi du côté du mouvement « gay et lesbien », pourtant plus gay que lesbien tant les hommes, certes plus nombreux, et les sujets masculins, ont une visibilité bien plus massive.£
Nous vivons toujours dans une société hétérocentrée et largement hétérosexiste, où « la norme » est à la fois hétérosexuelle et sexiste. Lorsqu’on parle d’homosexualité, comme en grammaire, le masculin l’emporte ainsi le plus souvent sur le féminin. Le mot « lesbienne », quand il n’est pas tout bonnement une insulte, reste d’ailleurs un mot tabou, et les lesbiennes demeurent souvent condamnées à l’invisibilité sociale. Double peine en France et ailleurs, être une femme et être homosexuelle. Notons que la peine s’alourdit encore si on ajoute l’appartenance à une minorité ethnique.
Jodie Foster
La représentation médiatique de l’homosexualité féminine a néanmoins fait d’incontestables progrès ces dernières années, avec la série The L World et le coming-out de stars comme Ellen De Generes, Jodie Foster, Cynthia Nixon (Sex & the City), Portia de Rossi (Ally Mc Beal) ou Beth Ditto, la chanteuse de Gossip. Malgré ce récent gain de visibilité médiatique, certaines ne manquent pas d’observer qu’il est réservé à celles qui respectent les codes de la féminité…
On remarquera aussi que là comme ailleurs, la France et son PAF sont loin non seulement de l’avant-garde mais de la simple représentativité. Ce n’est pas le moindre mérite du documentaire Les invisibles (2012) de Sébastien Lifshitz que de faire parler, très loin des clichés, des femmes d’un certain âge qui ont lutté pour vivre comme elles sont.
Au Royaume-Uni, Jeannette Winterson, féministe et homosexuelle certes, mais avant tout écrivain au talent extraordinaire (Les oranges ne sont pas les seuls fruits, Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?), est une personnalité de premier plan, dont les œuvres sont adaptées par la BBC. A-t-on jamais parlé d’écrivains ou d’acteurs hétérosexuels ? Je rêve d’un jour où l’on ne précisera plus l’orientation sexuelle des uns et des autres quand elle n’est pas conforme à la soi-disant « norme ».
Illustrations :
– Colette par Leopold Reutlinger (1863-1937) – Domaine public.
– Jodie Foster – Wikipedia – © Franz Richter – Creative Commons Attribution-Share Alike 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic license.