Anthropologue, née en 1933, Françoise Héritier étudia auprès de Claude Levi-Strauss puis effectua de nombreuses missions en Afrique Occidentale (Burkina Faso, Mali, auprès des populations Samo, Pana, Mossi, Bobo et Dogon). Elle succédera à son maître au Collège de France en 1982 en inaugurant la chaire d’Étude comparée des sociétés africaines. Cette femme est remarquable à plusieurs titres.
Tout d’abord pour avoir ouvert la voie aux femmes dans son domaine : anthropologue et ethnologue de renom, elle devient la deuxième femme à enseigner au Collège de France, après Jacqueline de Romilly. La qualité de son travail en fait une des spécialistes des questions touchant à la parenté, au mariage, à la famille, au rapport de sexe et de genre. Ses travaux sur la parenté ont nourri la réflexion sur l’accouchement sous X, l’adoption, la procréation médicalement assistée.
Plus récemment, c’est la femme de cœur, généreuse et soucieuse de faire partager au plus grand nombre, qui s’est illustrée avec des ouvrages plébiscités par le grand public : Le sel de la vie (2012) et Le goût des mots (2013), publiés tous les deux chez Odile Jacob. Mais elle est surtout à l’origine du concept de « valence différentielle des sexes ». Son champ de recherche s’est particulièrement porté sur l’étude des fondements universels de la domination masculine.
Au travers de ses ouvrages, elle démontre que la domination masculine dans nos sociétés (domination universelle puisqu’il n’existe pas de société dite « matriarcale ») ne repose pas sur des différences « naturelles » mais sur des éléments culturels, qui remonteraient au Néendertal, à partir du moment où les hommes se sont appropriés les femmes, seules capables de reproduire du féminin mais également du masculin. L’échange des femmes est alors devenu monnaie courante et la femme, privée de sa liberté, est devenue la propriété de son père avant de devenir celle de son mari (en France, ce fut le cas jusqu’au XIXe siècle et c’est encore vrai dans bien des pays).
Cet état de fait s’est transmis de génération en génération, par l’éducation ou plutôt l’absence d’éducation des femmes, la reproduction de comportements hérités de nos parents, mais également véhiculés au travers de stéréotypes, par les médias notamment. Sont devenus universellement « négatifs » les attributs accordés aux femmes : passivité, fragilité… en Occident ; au contraire activité, agitation en Orient.
Si, dans nos sociétés occidentales, la place des femmes a progressé, en particulier depuis l’accès à la contraception (« le contrôle de la procréation entre les mains des femmes elles-mêmes est la première marche vers l’égalité ») et la légalisation de l’avortement, Françoise Héritier nous pense encore loin du partage équitable du pouvoir, puisqu’aux différents sommets du pouvoir (politique, économique, intellectuel, artistique, religieux…), les femmes sont encore trop rares.
« C’est à l’échelle mondiale qu’il faut désormais inventer de nouveaux concepts mobilisateurs pour parvenir à cet idéal : l’égalité en dignité et en droit de tous les êtres humains. » Elle nous appelle donc à être acteurs et actrices du changement, convaincue qu’elle est de l’apport d’un juste partage entre hommes et femmes du pouvoir pour écrire demain un futur à la fois plus équitable, plus fructueux, enrichi de nos différences. Messieurs, mesdames, à nous de jouer ?