Nous employons le terme « avorter » dans ses deux acceptions. L’une pour parler d’un accouchement avant terme, l’autre pour exprimer l’échec d’un projet. Ne serait-il pas pertinent d’unir ces deux sens : grossesse et projet ? Lorsqu’une femme fait le choix de ne pas poursuivre une grossesse, elle pèse cette décision à l’aune de son propre projet, d’un projet commun ou d’un projet qu’elle fait sien. Lorsqu’elle décide d’enfanter, elle engage son corps et sa vie.
Quels fondements de nos sociétés cette liberté, ce choix, viennent-ils ébranler ? Nous parle-t-on de la maturité des femmes et de leur capacité à penser et à décider par elles-mêmes ? De leur place et de leur rôle dans une vision traditionnelle de la famille ? Du poids des religions ? Du lien entre sexualité et procréation ? De la filiation et de la transmission du patronyme ?…
Les sociétés conservatrices n’envisagent pas que les femmes aient un autre destin que celui de devenir mères. Quand les hommes ont deviné leur responsabilité dans la fécondation, leur pouvoir sur les femmes s’est conforté. Le droit à la contraception et à l’interruption de grossesse est combattu par les sociétés phallocrates qui acceptent mal une sexualité féminine dissociée de la reproduction.
L’avortement est également banni par les religions au prétexte que l’embryon est une personne humaine confiée par Dieu aux entrailles de la mère. Sous l’icône mariale on aperçoit insidieusement l’image d’une femme infantilisée et réduite à la fonction de réceptacle.
Il est contesté par ceux qui estiment que le droit à la contraception doit rendre exceptionnel les avortements : « Avec les moyens qui existent, elles pourraient quand même faire attention, non ? » Certaines nous parlent des « avortements de confort »… aucune de nous n’a jamais pris cette décision dans la facilité. Néanmoins, contester ce droit revient à contester notre liberté ainsi que l’égalité entre les hommes et les femmes… au xxie siècle !
En France, 220 000 IVG sont pratiquées chaque année, soit un avortement pour trois naissances. Malgré la loi Veil adoptée en 1975 et le remboursement de l’avortement par la sécurité sociale adopté en 1982, l’avortement continue de faire débat et de subir de multiples attaques. En Europe, le sujet divise encore et le Parlement européen œuvre à la promotion de la liberté et de l’égalité des droits en ce domaine, notamment à travers deux résolutions adoptées en 2011 :
– l’une visant la réduction des inégalités de santé, rappelant que « l’Union européenne et les États membres doivent garantir aux femmes un accès aisé aux moyens de contraception ainsi que le droit à un avortement sûr » ;
– la deuxième relative à l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’Union européenne, stipulant que « les femmes doivent avoir le contrôle de leurs droits sexuels et reproductifs, notamment grâce à un accès aisé à la contraception et à l’avortement ».
Quand bien même la morale ou la loi condamnerait cet acte, des femmes continueront d’avorter. Certaines y risqueront leurs vies. Une seconde et demie… c’est le temps qui s’écoule entre deux avortements clandestins dans le monde.
> Voir aussi : Avortement, acte positif.
Illustration : © Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons