Légalisé par la loi Veil, il est devenu un acte médical désigné sous le nom plus aseptisé d’IVG (interruption volontaire de grossesse). Presque 40 ans après, force est de constater que l’abréviation n’a pas rempli la fonction de neutralité juridique et morale attendue. Comment l’aurait-il pu quand ceux qui défendirent le projet de loi le présentèrent comme « un drame auquel le recours ne pourrait être qu’ultime » (plaidoyer de Simone Veil devant l’Assemblée nationale le 26 avril 1974).
À l’époque, la fin justifiait le moyen : il fallait faire passer un projet dans un contexte de réticence généralisée. Reste que le moyen a cantonné l’acte dans ce statut très négatif, celui du dernier recours, alors qu’il est l’unique recours pour celle qui ne souhaite pas poursuivre une grossesse déjà engagée. 40 ans et l’avortement n’a pas toujours pas trouvé sa place : il est légal mais pas légitime pour tout le monde. Coupables, irresponsables… celles pour qui ce fichu test de grossesse ne résonne pas comme le grand bonheur et l’accomplissement ultime de la féminité.
L’avortement n’a pas sa place dans les valeurs traditionnelles ni dans celles considérées comme modernes où la contraception permet le contrôle efficace et responsable d’un corps qui ne peut être que procréateur. Dans ces deux systèmes de valeur, est ancrée l’idée que le désir d’enfant est une évidence première, la contraception n’étant qu’un désir d’enfant différé. L’avortement, c’est le dérapage contre la norme et la nature, un acte d’insoumission à la nature et à la fonction sociale de la maternité.
Il y a celles qui ont la bonne conduite et les autres, celles qui avortent. L’avortement est légal mais les femmes qui y recourent ne se sentent pas toujours en état de légitimité. Outre les discours surréalistes de ceux qui entendent re-pénaliser l’avortement, les structures chargées d’appliquer la loi vont trop souvent au delà des exigences légales dans le discours réservé à celle qui a « failli » : des affiches de beaux bébés joufflus bien culpabilisantes recouvrant les murs des structures d’accueil à la décharge de toute responsabilité exigée par certains praticiens en passant par l’oubli du secret médical, la liste est longue, à la limite de la malveillance.
Rares sont celles qui s’autorisent à mettre en avant des raisons autres que celles socialement et traditionnellement recevables dont la détresse est l’élément fédérateur : détresse matérielle, détresse psychologique… L’avortement doit forcément être synonyme d’un raté : raté dans la contraception, raté affectif, raté économique. C’est délibérément omettre, pour des raisons moralisatrices, qu’il est porteur d’expériences positives ou négatives, comme tous les actes liés à la procréation. Il offre la possibilité de se révolter contre la fatalité et a sa place au même rang que d’autres techniques qui opèrent sur le corps des femmes.
Rien n’est acquis. Un droit a été obtenu qui doit non seulement être sauvegardé mais inscrit dans l’ensemble des actes liés à la procréation. Il y aura alors une place pour ce que l’avortement permet de dire en positif et d’accomplir : « Je suis une femme libre qui se détermine, mon corps m’appartient. Je fais des choix à un moment donné dans mon existence qui me définissent. J’avorte pour vivre, pour vivre la vie que je me suis choisie. »