L’amour, c’est entendu depuis toujours, est une affaire de femmes. Et comme de bien entendu, toute affaire de femmes sous-entend activité de seconde zone. Les films d’amour, les romans d’amour, les chansons d’amour, les histoires d’amour… c’est l’affaire des femmes donc, affaire méprisée des « vrais » hommes depuis Cro-Magnon, sans doute parce qu’ils dénient au verbe aimer son caractère actif et qu’en conséquence, aimer c’est être faible ou du moins être affaibli.
Comme Roland Barthes l’a superbement analysé dans les Fragments du discours amoureux (Seuil, 1977), le sujet amoureux se caractérise par une position d’attente, l’immobilité, la souffrance et l’angoisse. Attente inexorable de l’autre, l’être aimé qui, par essence, risque toujours d’échapper au sujet amoureux, d’être perdu à tout jamais, ne serait-ce que par la mort.
« Historiquement le discours de l’absence est tenu par la femme. La femme est sédentaire, l’homme est chasseur, voyageur. La femme est fidèle, elle attend, l’homme est coureur, il navigue, il drague. (…) C’est la femme qui donne forme à l’absence, en élabore la fiction car elle en a le temps. Elle tisse. Elle chante (…). Les fileuses, les chansons de toile, disent à la fois l’immobilité par le ronron du rouet et l’absence au loin des rythmes de voyages. Il s’ensuit que tout homme qui évoque l’absence de l’autre, du féminin, se déclare, cet homme qui attend est féminisé, parce qu’il est amoureux. »
« L’avenir appartiendra au sujet en qui il y a du féminin » écrit Roland Barthes dans ses Fragments. L’Absence, l’amour, une affaire de femmes ? Et si l’amour était plutôt la grande affaire des femmes, qui, comme le poète, savent que la vie est une javanaise, qui ne vaut d’être vécue sans ? Et si l’amour était la grande affaire de la vie tout court, grande affaire pour laquelle les femmes mettent tout leur cœur à l’ouvrage ?
Car les femmes, il est vrai, savent aimer, éperdument, à en mourir parfois. Elles développent cette faculté à faire de l’amour, une œuvre de vie, voire le chef-d’œuvre de leur vie. Derrière les plus grandes créatrices, penseuses, artistes, il y a parfois une amoureuse tragique. L’autre, l’être aimé est son adresse, celui dont elle vise à travers son œuvre, le regard, la reconnaissance de son désir, l’admiration, l’amour en somme. Sartre pour Simone de Beauvoir, Heidegger pour Hannah Arendt, Rodin pour Camille Claudel…
Un jour, Yves Montand, tint ce doux propos : « Je me suis couché avec Casque d’Or, je me suis réveillé avec madame Rosa. » Quelques années plus tard, Simone Signoret, parvenue au sommet de sa gloire et de sa reconnaissance (elle était devenue une écrivaine saluée, reçue chez Bernard Pivot), confessa, comme à elle-même, qu’elle s’était arrangée pour faner sa beauté avant l’heure, afin d’éradiquer son angoisse d’être détrônée par toujours plus jeune, toujours plus fraîche, toujours plus belle. À 40 ans sonnants, c’était fait, elle en fut soulagée et put devenir la grande Signoret (que la belle Simone ignorait !). Celle que Montand a le plus aimée entre toutes, à qui il tint la main jusqu’aux derniers jours, sa Simone.
Il en faut donc du talent en amour pour vivre, il en faut de l’amour pour l’aimer cette chienne de vie. Aimer c’est vivre et vivre c’est aimer.